Domaine Prés Lasses Boris et Denis Feigel

Votre père raconte que, dès l’âge de sept ans, vous organisiez des dégustations à l’aveugle… Avec de l’eau ! Vous avez toujours eu une sorte de goût… du goût ?

La dégustation me passionne effectivement depuis tout petit. Et plus particulièrement celle des boissons qui a toujours eu ma préférence. Avec ces dégustations d’eaux, je voulais prouver à mon père que j’étais capable de les distinguer les unes des autres ! Et j’y arrivais ! Les différences que je percevais concernaient cette fameuse « minéralité » qu’on a souvent du mal à définir dans le vin. Encore aujourd’hui, je trouve que c’est une sensation qui est difficile à mettre en mots… C’est quelque chose qui se situe pour ainsi dire « à l’arrière-plan », mais qui est loin d’être neutre : elle participe considérablement à l’équilibre.

Votre famille est originaire d’Alsace qui est également une très belle région viticole. Pourquoi avoir choisi le Languedoc et plus spécifiquement Faugères ?

Mon père était absolument convaincu de l’énorme potentiel du Languedoc : il avait bien raison au regard de l’évolution qu’il a connu sur les trente dernières années. Faugères faisait déjà partie de ses grandes appellations : elle y est singulière avec ses sols de schistes et il m’a toujours semblé que beaucoup de grands terroirs se situaient sur des interfaces entre plaine et montagne comme c’est le cas ici. Par ailleurs, et ça faisait plus que nous tenir à cœur : les conditions climatiques y facilitent la pratique de la bio. 

D’où vous venait cette nécessité de pratiquer l’agriculture biologique ?

J’ai eu la chance d’avoir été éduqué par des parents qui faisaient preuve d’une grande sensibilité au respect de l’environnement. Le domaine était déjà en conversion à mon arrivée, d’ailleurs. Quant à moi, mes premières expériences viticoles se sont déroulées au Domaine Zind-Humbrecht : l’un des pionniers du bio et de la biodynamie en Alsace. En réalité, je n’ai jamais envisagé de travailler autrement que sur cette base : cela me semblerait aberrant, voire déplacé.

C’est-à-dire ? Si le bio constitue la base de votre pratique, quelles sont pour ainsi dire les autres pierres que vous avez déjà posées à son édifice ?

Il n’y en a pas assez à mon goût… Mais ma philosophie consiste en effet à essayer de voir plus loin que le bio. Ça passe notamment par la réduction des doses et fréquences d’utilisation des produits de protection à leur minimum. J’expérimente également la phytothérapie. Mais je crois que la démarche dans laquelle je suis le plus avancé est celle de l’enherbement mis en place dans le cadre du projet collectif des Enherbeurs qui permet entre autres de favoriser la vie microbiologique des sols, leur portance… Sorte d’extension de cette démarche, je m’intéresse particulièrement à la vitiforesterie : toujours dans l’optique de la préservation des sols, mais aussi, dans le contexte du réchauffement climatique, dans celle d’amener de l’ombre et de la fraîcheur via la présence d’arbres dans les parcelles.

CHÂTEAU AUTIGNAC

Construit au milieu du XIX^ème siècle, le Château Autignac témoigne aujourd’hui encore de la passionnante histoire viticole du Languedoc. En 2013, Denis Feigel et Eric de Turckheim décident de redonner ses lettres de noblesse à ce magnifique édifice situé au cœur de l’AOP Faugères. Si le parti-pris architectural contemporain est destiné à traduire l’élégance et la pureté des vins de cette grande appellation languedocienne, l’association de ces deux passionnés permet également de redonner à ce château sa vocation viticole originelle : il abrite depuis lors le Domaine Prés Lasses.

Et cette philosophie du « voir plus loin que le bio » se prolonge dans votre façon de concevoir vos vins…

Oui. J’ai toujours voulu travailler le plus naturellement possible. J’ai commencé par ne plus utiliser que des levures indigènes, puis par réduire jusqu’à faire disparaître les doses de soufre à partir de 2013. J’avais aussi dégusté et aimé beaucoup de vins naturels, et je suis devenu sensible – physiologiquement – aux vins soufrés. C’est donc l’un de mes objectifs : faire des vins « sains », qui présentent donc une plus grande buvabilité, et pas uniquement pour moi ! Mais ça signifie aussi qu’ils soient « nets » : je suis persuadé que certaines déviances ne sont pas seulement à observer comme des défauts organoleptiques à l’instar de l’œnologie traditionnelle, mais comme de « mauvais éléments » au plan sanitaire. Les vins naturels ont eux aussi leurs limites, donc la démarche « nature » est à relativiser : ce n’est pas une fin en soi.

Comment a réagi votre père, œnologue, quand vous lui avez annoncé votre projet ?

Il n’était pas forcément enthousiaste… Mais dans la mesure où je me suis attelé à vraiment maîtriser les aspects microbiologiques, il m’a soutenu. Bon, je ne lui avais pas exactement dit à quel point j’allais loin dans la démarche au départ… (Rires) Mais les résultats étaient très satisfaisants. Et la culture du vin n’est pas figée, les goûts évoluent, l’œnologie doit suivre. Il y a beaucoup de subjectivité dans tout ça, mais on n’apprécie pas quelqu’un parce qu’il n’a aucun défaut, mais pour ce qu’il est dans son ensemble : il y a dans le vin aussi certains petits défauts qui contribuent à lui donner du relief.

Cela vous semble-t-il aussi être un moyen de rester plus fidèle au terroir ?

En effet. Mais la notion de « vin de terroir » est très subjective, culturelle et j’ai l’impression qu’on a parfois tendance à grossir l’importance du terroir dans ce qu’il donne de profil au vin. Attention je ne veux pas minimiser son importance, mais je pense que c’est quelque chose de très subtil qui n’est pas forcément évident à percevoir et expliquer : le monde du vin est un monde de finesse et de complexité. A Faugères il y a toutefois de grandes lignes, c’est vrai : une signature minérale qui me semble plus marquée qu’ailleurs en Languedoc. Il en découle une structure tanique qui se décline sur la finesse tout en restant méridionale. Sur les Blancs, j’essaie d’aller chercher des équilibres sur la fraîcheur non pas via la sous-maturité, mais grâce au choix des cépages ou par le biais d’un travail sur les amers : il faut savoir assumer le côté méridional du terroir !

INTERVIEW « ÇA, C'EST VRAIMENT TOI, BORIS ! »

Si tu étais un animal du vignoble ? Un sanglier ! Parce que, gourmand qu’il est, il mange des raisins bien mûrs !

Un accord Musique & Prés Lasses à suggérer ? Offenbach avec un verre de Castel Viel.

Si tu étais un hashtag ? #NoWeb

Le vin, c’est plus qu’une boisson, c’est… Une culture !

Si tu étais un cépage ? Le Nebbiolo, parce qu’il vieillit bien ! 

© Domaine Prés Lasses